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109 Nous obéissons au regard des autres : extrait de la conférence du 2 octobre 1994

Pour tous ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’assister au Cabaret Mystique d’Alejandro Jodorowsky :

Je vais commencer par quelques petites histoires :

Le roi a un éléphant et comme il l’aime, il le laisse se promener dans le village et il détruit presque tout. Mullah Nasredin dit : "Ça suffit, je vais aller voir le roi et lui dire ce que je pense, il faut qu’il tue cet éléphant." Il arrive devant le roi qui lui dit d’une grosse voix : "Qu’est-ce que tu veux ?" Nasredin perd un peu son assurance et dit : "Majesté, j’ai quelque chose à dire au sujet de votre éléphant" Le roi impatient : "Oui, quoi ?" "Votre éléphant manque d’une éléphante pour faire un couple"

Voilà, elle est profonde ! Je pense que l’éléphant, c’est le symbole du moi, de l’ego, l’ego non dompté, l’ego malpoli, l’ego destructeur que nous avons. Nasredin, c’est la partie sage que nous avons à l’intérieur de nous. Nous sommes tous des sages, si on laisse parler sa sagesse, on est sage. Mais cette sagesse ne parle pas parce qu’elle est timide. Le roi c’est l ’être essentiel que nous sommes tous.

Alors je me dis à moi, mon ego est en train de tout détruire, il faut faire quelque chose, et on découvre que si je détruis tout, c’est qu’il me manque une moitié, il me manque l’âme qui va m’accompagner dans la vie. On n’est pas fait pour vivre tout seul , nous sommes destructeurs parce que quelque chose nous manque pour nous compléter et il faut savoir ce qui nous manque vraiment, on ne sait pas ce qui nous manque.
Je parlais avec L. qui fait de la voyance par téléphone 8 à 10h par jour ! c’est un travail épuisant ! C’est une sorte de psychanalyse du peuple, on pourrait dire. On se voit devant la détresse des gens qui ont perdu tout repère, qui ne savent pas comment se sortir des choses, qui sont dans des catastrophes émotionnelles énormes. Les gens sont comme enfermés dans des cages et ils souffrent, ils veulent une aspirine. Beaucoup de gens veulent solutionner les problèmes sans approfondir la racine, parce que la racine est profondément douloureuse, parce que la famille est affectée depuis des siècles par des tas de problèmes, c’est incroyable ce que nous avons reçu comme héritage émotionnel ! C’est très fort, c’est très dur ! Quoi faire pour s’en sortir ? Comment aider quelqu’un ?

Alors, toi comment tu aides les gens ? Une participante : "J’essaie de les écouter."
Bon, tu essaies de les écouter... Alors voilà, une personne c’est un être humain, elle traîne toute une vie, son esprit est formé, son esprit est plein d’images, de visions que la famille, que son corps, que la société lui ont données, c’est à travers ces images que cette personne là voit le monde.
Mais elle, c’est elle, et si elle ne devient pas consciente, c’est une prison être soi-même ; on ne se voit pas, alors tout à coup on souffre, on est là et on ne sait pas comment se sortir de la souffrance, à l’école on ne nous apprend pas à nous sortir de la souffrance, quoi faire ?
On croit que la psychanalyse va nous le dire, mais elle ne nous le dit pas ! Ils regardent la montre et nous demande l’argent, et nous on parle et on ne nous dit rien !

Comment aider ? Je pourrai le faire d’une seule façon : conduire la personne à avoir un nouveau moi. Le moi que nous avons, c’est lui qui nous fait souffrir, c’est l’éléphant fou.
Si nous voulons que les choses changent, notre moi doit changer. C’est très simple, c’est idiot...
Tant que j’ai le même moi, les choses restent pareilles. D’où vient la vision du moi des traumatismes, du regard qu’on m’a donné ?
Moi je sais comment ça marche ce regard... par exemple moi, je voulais que mon fils Theo développe un beau corps, je lui disais : "Tu es si beau, tu as un corps de noir !" Et ça y est ! A quinze ans il appartenait à une bande de 22 africains, et il était l’africain blanc ! Il n’avait pas d’amis blancs car je lui avais dit qu’il était comme un Africain
Les enfants obéissent à notre regard !
Il y a eu un cas dramatique en France, c’est trois sœurs qui ont eu la lèpre. Leur père n’arrêtait pas de leur dire "Vous les femmes vous êtes comme la lèpre !" Elles ont eu la lèpre en France ! Ce qui est presque impossible !
Nous obéissons au regard des autres.

Si on ne nous écoute pas, nous vivons dans la vie comme si on n’avait rien à dire ! Si on ne prend pas conscience de notre présence, on a le sentiment qu’on n’existe pas, on a peur de se voir soi-même parce qu’on dit, qu’est-ce qu’il y a en moi ? En moi il n’y a rien, je suis vide.
Avec mon fils Axel j’ai commis l’erreur, l’erreur suprême, il s’est senti envahi par mes autres enfants qui sont venus me rejoindre quand il avait 3 ans. Donc il a commencé à avoir des problèmes de peau, alors moi au lieu de lui donner sa place, je l’ai amené chez le médecin et on a commencé à lui appliquer des crèmes, des trucs, je l’ai vraiment torturé pour empêcher les manifestations cutanées, alors qu’il avait un problème émotionnel.
Je n’ai pas su guérir le problème émotionnel, alors il a grandi avec un problème incroyable. Plus tard je suis devenu conscient et j’ai guéri la maladie émotionnelle de mon fils. Je n’étais pas conscient de l’importance qu’avait mon regard. Je voulais faire comme tout le monde, guérir quelqu’un mécaniquement comme on répare le moteur d’une voiture...!

Bon, j’ai trouvé un livre de W. Dyer, qui vient de la pensée positive. Mais comme toujours, on trouve partout des choses formidables. Ce livre se propose d’avoir la force de croire. Je me suis demandé ce qui peut être utile pour vous.
Alors il dit la première chose qu’il faut pour le changement du moi : prendre conscience que nous ne sommes pas des êtres humains en train d’avoir une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels, en train d’avoir une expérience humaine.
Voilà nous avons un corps et pour le corps il y a beaucoup de choses, toute la société de consommation, mais pour l’esprit il n’y a pas grand-chose, un petit livre par ci, trois fois rien !
Pour eux nous sommes un corps qui a un esprit mais W. Dyer nous propose de nous voir comme un esprit qui a un corps.

Alors si je suis un esprit, là tout change ! Si je suis un esprit, je suis complètement illimité !
Tous les problèmes viennent de mon corps, pas de mon esprit !
Je suis un être illimité qui vit dans un corps, c’est comme ça qu’il faut se concevoir. Je n’ai pas de limites.
C’est un des premiers principes que propose ce livre ; voilà ce que j’ai digéré.

Il faut comprendre que toutes nos actions dérivent de nos images.
Si nous avons des images d’échec, nous allons avoir des échecs tout le temps ; des images de succès et nous allons avoir des succès tout le temps, c’est aussi simple que ça, c’est le secret : ma vie est le résultat des images que je porte.
Les mêmes évènements peuvent avoir des effets complètement différents selon les personnes. Une guerre par exemple : l’un en sort détruit, l’autre en sort renforcé, pourquoi ? Encore une fois, l’un et l’autre ont des images différentes dans leur esprit.
Par exemple tu montres un film porno à des enfants, l’un est traumatisé pour toute sa vie, l’autre devient un artiste créatif formidable, parce que l’un a des images de culpabilité, l’autre a été élevé librement.
Rien n’est traumatisant, c’est notre esprit qui se traumatise. C’est nous qui donnons la signification aux évènements dans notre vie.

Quand Adam est né, mes autres enfants ont vu sa mère accoucher. Ils sont tous normaux ! Je leur ai donné une autre conception de la vie parce qu’ils ont une autre image de la mère que la mère vierge, non sexuelle, non touchée, ils sont en pleine réalité. Aucun traumatisme !
Tout ça dépend des images que génétiquement on nous a donné, que l’Arbre Généalogique nous a donné, que la société nous a donné.
Alors il faut se rendre-compte et être comme un chasseur et voir quelles sont les images qui nous habitent pour se libérer.
Il faut se dire que tout ce que tu visualises est déjà là. Si je me visualise en donnant une conférence à la Sorbonne, je la donnerai !
Tant qu’on ne visualise pas les choses, les choses ne se font pas ! Il y a tant de gens qui ont peur de se visualiser dans des situations différentes de ce qu’ils vivent. Beaucoup de personnes ne se visualisent pas heureux ou réalisés et en ne se visualisant pas, ils ne font rien. C’est très simple ! C’est très réel, c’est naïf, mais il faut aller chercher ça dans la naïveté sinon on ne va pas changer. Il faut que vous vous rendiez compte que l’échec n’existe pas. Rater c’est simplement une visualisation inférieure. Qu’est-ce que rater, qu’est-ce que l’échec, c’est une nouvelle opportunité dans un autre schéma.

Je devais faire un film énorme "DUNE", ça a raté. Celui qui avait fait le script est devenu fou, il n’a rien fait pendant plusieurs années (après il a fait Alien) , et moi j’ai tout de suite fait de la BD, et ce que je n’ai pas pu dire dans le film, je l’ai dit là. Quand vous ratez un couple ce n’est pas un échec, c’est une nouvelle opportunité.
Sauf pour une personne malade, quand elle a un échec, elle arrive à la dépression et s’auto-détruit. Le moi n’accepte que ça, elle est enfermée dans sa représentation du monde.
Une personne plus positive tombe, elle se relève et monte plus haut, tombe et monte plus haut.
Pour être riche il faut avoir été ruiné trois fois dans sa vie et pour aimer vraiment il faut avoir raté au moins trois fois ! Il faut changer ses images et l’échec est un succès.

Le moi, l’esprit, vit dans un monde qui n’a pas de forme. Pour l’esprit la nationalité c’est une maladie, la religion (pas le mysticisme) c’est une maladie, s’identifier à un âge donné, c’est une maladie. Pour l’esprit libre, avoir des idées fixes, une conception du monde qui ne change pas, c’est une maladie.
L’esprit n’a pas de limites. Nous créons tout ce qui est nécessaire pour notre rêve. Vous savez que nous vivons notre vie comme un rêve, c’est un bon concept qu’il faut utiliser, c’est très utile. Tout ce qui nous arrive, nous le rêvons et c’est utile pour nous ou négatif, selon comme on le veut. Dans le travail de l’Arbre Généalogique je l’utilise, Bouddha a dit : "La vérité, c’est ce qui est utile." Il n’y a pas de vérité. Quand une pensée m’est utile, je l’utilise, quand elle arrête d’être utile, je la jette comme une chemise sale.

Une idée utile c’est la suivante : je suis venu au monde parce que je le voulais, c’est moi qui ai choisi mon père et ma mère parce que je pensais nécessaire de faire cette expérience là.
Quand les choses arrivent il est très utile de se dire : Pourquoi je me suis créé ça, pourquoi je me suis créé cette maladie là, pourquoi je me suis créé cet échec amoureux là, cet alcoolisme, pourquoi est-ce que je me crée cette forme de suicide qui est un ratage économique ?
L’autre jour je parlais avec une dame portugaise qui me demande : "Pourquoi mon fils qui se marie, ne nous a pas invité mon mari et moi à son mariage ?" Elle pensait que c’était la faute de son fils. Je lui ai dit qu’il fallait peut-être chercher en elle les raisons. "Comment ?!! Mon fils m’aime tellement qu’il ne peut se passer de moi !!" J’ai essayé de lui expliquer ce qu’était un Oedipe, qu’il fallait lâcher son fils, lui donner la liberté etc.

Nous avons tout, si nous sommes esprit, tout est à moi, les dons que nous avons sont illimités. Je me sens capable de tout avoir ; nous sommes capables d’avoir tout ce que nous sommes.
Les réactions que nous avons, c’est toujours à cause des illusions. Il faut savoir, quelle est l’illusion qui me provoque ces angoisses ? Qu’est-ce que ça veut dire émotionnellement ? Pourquoi je me crée ce truc là ? Pourquoi j’essaie de me le créer ?

Avec les illusions, il faut faire très attention. Pour l’inconscient la mort n’existe pas, c’est l’au-delà. Mourir pour l’inconscient c’est un changement profond, ce n’est que ça.

On a tendance, si une personne se fait un cancer ou n’importe quelle maladie, à se le faire pour la suivre.
Il faut se dire, ça ne n’est pas pour moi, c’est pas moi ; je ne dois pas suivre des impulsions infantiles si ce n’est pas moi, c’est tout.
Les réactions que nous avons sont réelles, mais les personnages qui nous donnent ces réactions sont irréels.

Nous gardons en nous le regard enfantin, quand on le trouve, on se rend compte qu’on le porte encore et il y a des problèmes qui ne nous correspondent pas et qui sont des illusions.
Il faut savoir se défaire de ça, savoir se voir.

Il faut comprendre que le chemin à suivre et l’objectif, c’est la même chose.
Si je me dis : "un jour je serai acteur" et si je prends des cours de théâtre, tout est là déjà.
L’objectif et mon travail, c’est la même chose. Que j’arrive ou pas au succès, aucune importance, je suis dans le chemin. Il faut comprendre que toutes les finalités sont là.
Si je me vis comme une pauvre personne qui n’a rien, je suis pauvre. Si je n’ai pas un sou et que je me vis comme une personne riche, je suis riche. C’est difficile à croire mais c’est comme ça. Moi, ça fait 65 années que je vis des miracles. Dieu me donne, (ce qu’on appelle Dieu), tout ce dont j’ai besoin, pas plus, pas moins. Parce que dans ta tête les choses sont là, si elles ne sont pas là, elles ne se réalisent pas.

Tu dis "je suis tout seul", je sais ! parce que tu refuses les autres, c’est ça la solitude, c’est le refus des autres. Si je laisse entrer en moi l’autre, l’autre apparaît tout de suite. Moi, cela faisait 8 ans que j’étais tout seul, j’étais très content. J’avais décidé de devenir moine pendant un certain temps ! Mais je me suis dis, il me faut quelqu’un pour vivre avec moi.
Quoi faire ? Je vais réaliser que quelqu’un vit avec moi et je vais attendre qu’on vienne frapper à la porte. Elle est venue frapper à ma porte et m’a dit, "je suis là". Alors j’avais fait un acte de psychomagie : j’ai écrit le mot "compagnie " et je l’ai entouré autour de mon sexe.
Et ça marche ! si tu le veux ! Pendant 8 ans personne n’est venu parce que je ne le voulais pas.

Mon père voulait mourir à 86 ans, parce que sa mère était morte à 86 ans. Je lui ai dit non, c’est une programmation, alors, je suis allé à Haïfa et je l’ai convaincu que non ! Alors, il a 93, il n’est pas mort à 86 ! Il m’a dit "Je tire la corde !" A 86 il croyait qu’il était au bout du rouleau !
Quand on fait un couple ou qu’on fait une famille, il ne faut pas en faire une forteresse ; il ne faut pas se fermer au monde. Il faut tout le temps se rappeler qu’on fait partie de l’humanité.
Pense aussi à tes ennemis, tu dois les traiter comme des leçons que tu te donnes.
Il faut faire tous les efforts pour envoyer de l’amour quand tu reçois de la haine.
Si on te frappe la joue, tu es stupide, parce que tu aurais dû voir avant de ne pas te mettre dans une position où on te frappe la joue.
Essaie de voir chaque personne qui rentre dans ta vie comme un professeur. Chaque nouvelle rencontre est un enseignement. Le mieux, c’est d’être un élève qui apprend de tout parce que l’apprentissage n’a pas de fin.

Il y a quelqu’un qui a des questions ?
Question : "Comment aider quelqu’un qui a une maladie grave ?"
Toute aide se résume à une attitude : apprendre à l’autre à s’aider lui-même, et la façon de le faire c’est écouter. L’écouter et l’accompagner. Ne pas le critiquer, lui faire comprendre que sa maladie c’est une leçon et voir quelle leçon il reçoit. Pendant une maladie on fini par se découvrir soi-même.

Une autre question : "Que dire à une personne qui se croit programmée pour mourir au même âge que ses parents ?"
On peut faire deux choses, d’abord lui expliquer sa programmation, mais là il y a un danger parce qu’il y a des personnes qui veulent mourir. Quand une personne veut mourir, il faut l’aider à mourir ! Mais pas trop révéler aux personnes négatives ce que je dis parce que elles vont profiter de ça pour se détruire un peu plus . On ne dois pas rendre conscient tout le monde.
Tout ce qu’on peut faire, c’est écouter et accompagner, il faut reconnaître qu’on ne peut pas tout faire ! Quand il y a une maladie terminale et que la personne ne lutte pas elle-même, qu’elle veut mourir inconsciemment, tu fais tout ce que tu peux, l’accompagner, lui montrer que la vie est belle même dans la situation où elle est. Lui amener une fleur, lui faire des cadeaux. Chaque fois qu’on fait un cadeau de valeur on amène la paix au monde, on guérit le monde. Il faut faire des cadeaux aux gens dans cette situation, quelque chose qui peut se goûter dans le moment, ça c’est la merveille, mais c’est tout ce que tu peux faire. Si la personne ne comprend pas le goût de la vie par répétition, si elle n’est pas contente, c’est son problème.

Question : "Comment faire pour que mon frère prennent conscience de ses problèmes ?"
Il faut changer le regard que tu as sur ton frère. Je le change à l’intérieur de moi. Je change mon regard personnel sur mon frère, à ce moment là je l’aide.

Question : "Comment se protéger sans se fermer ?"
Il faut se demander "qu’est-ce que je protège ?" Si je suis invulnérable, je n’ai rien à protéger. Il faut que je me valorise moi-même, alors j’ai toute la protection du monde. Il faut reconnaître et vivre mes valeurs, comme ça je suis protégé.
On ne rajoutera au poème pas une virgule, pas un grain de beauté, personne ne peut rien n’y ajouter ni rien lui enlever. La perfection, c’est rien enlever, rien ajouter.

Quand je vis dans un monde comme ça, mon changement c’est comme une rivière, je me reproduis moi-même, je n’ai pas de défense à avoir. Je jette tout ce qui est négatif, je ne laisse pas rentrer dans mon temple des choses impures. Quelqu’un m’insulte, je le jette de mon univers, je le visualise dehors. J’élimine de mon univers tout ce qui est désagréable pour moi, je laisse rentrer ce qui est agréable et j’arrête de juger !

"Cassette enregistrée et prêtée par Denis Patouillard Demoriane.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays."