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90 Le bonheur : conférence du 29 juin 2008

Pour tous ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’assister au Cabaret Mystique extrait de la conférence d’Alexandro JODOROWSKY du 29 juin 2008

Pour commencer je vais raconter une blague : il y a un homme qui se promène dans la rue avec un pingouin et un policier le voit et lui dit « qu’est-ce que vous faites ici dans la rue avec un pingouin, emmenez-le au zoo ». Et l’homme lui dit « oui, d’accord je l’emmène au zoo ».
Quelques heures après le policier voit l’homme qui se promène encore avec le pingouin et furieux il lui dit « je vous ai dit de l’emmener au zoo ! » Et l’homme lui répond « oui, oui, je l’ai fait, mais maintenant il veut aller au cinéma ».

Si on va profondément on va penser que le policier va représenter une certaine contrainte sociale : les choses sont comme cela, il ne faut pas en sortir. Un animal doit être dans un zoo. Ton désir sexuel, dans la cage. Ton désir de changer le monde, dans la cage. Tes désirs de trouver l’amour qu’on a toujours décrit comme la merveille des merveilles, dans la cage. Et rien qui soit différent. Mais l’homme est un être tranquille et comme il lui est arrivé un pingouin au lieu de le mettre au zoo il écoute son pingouin. Alors quand il reçoit un désir, il l’écoute, quand il reçoit une émotion, il l’écoute et quand il a des pensées un peu différentes de ce qu’on t’a appris dans la famille, la société et la culture, tu écoutes et tu obéis. Le pingouin te demande de l’amener au cinéma, tu l’amènes au cinéma. S’accepter comme tu es et non pas comme les autres veulent que tu sois. C’est la merveille.
Aujourd’hui je me suis dit « tout le monde cherche le bonheur, qu’est-ce que c’est ? » Pour Epicure l’essence du bonheur c’est perdre la peur des dieux et perdre la peur de la mort. Pour Epicure nous sommes des atomes, tout est atomes. Ils se forment, se défont, et les dieux ne sont pas créateurs du monde, alors on n’aura pas de châtiment plus tard et mourir ce n’est rien. C’est cela le bonheur.

Alors je me suis demandé si le bonheur pour moi c’était cela. Apprendre à mourir, c’est vrai en partie et ne pas avoir peur de l’enfer mais je n’ai jamais cru à l’enfer. Donc j’ai eu le bonheur toute ma vie ! Beaucoup comme Montaigne, par exemple, se sont conformés avec cette idée du bonheur. Alors pendant que vous êtes là, avec moi, demandez-vous qu’est-ce que c’est le bonheur pour vous. Quelqu’un va me dire « avoir un orgasme merveilleux » d’accord, mais cela passe. Un autre m’a dit « avoir beaucoup d’argent. » L’argent ne donne pas le bonheur, mais sans argent il n’y a pas de bonheur.
Quand j’ai eu 33 ans j’étais au Mexique et comme le Christ est mort à 33 ans dans la société judéo chrétienne c’est une catastrophe pour les hommes d’arriver à 33 ans. J’ai trouvé un maître Zen qui vivait à la frontière de la ville de Mexico. J’ai pris ma voiture, une espèce de jeep et assez loin il y avait une petite maison que le psychanalyste Fromm avait construite pour ce maître. J’ai raconté cela dans mes livres. J’arrivais là et je tremblais car je cherchais, je cherchais. Mon père quand j’ai eu 4 ans a jeté aux waters une petite médaille de la Vierge qu’on m’avait donnée, il a tiré la chaîne et il m’a dit « Dieu n’existe pas, tu meurs, tu pourris et c’est fini. » Ma névrose a commencé tout de suite ! Alors j’ai cherché quelque chose qui m’aide à vivre.

Je suis arrivé chez Yo Takata et j’espérais que le Zen allait m’illuminer. Mais je ne savais pas ce que c’était d’être illuminé. Je cherchais l’illumination sans savoir ce que c’était. Je pensais que c’était ce qui allait me rendre immortel et sage, ce qui allait me donner la connaissance et l’immortalité. Voilà pourquoi je tremblais car on allait me donner la connaissance, l’immortalité et le bonheur Je frappe à la porte et qu’est-ce que je vois : un monsieur, chauve, habillé en moine, qui me regarde comme s’il m’avait connu toute sa vie. Il me reçoit, alors qu’il ne me connaissait pas, comme son égal. Quelle émotion que quelqu’un te reconnaisse, qui regarde ton âme et met son âme à côté de ton âme et a une reconnaissance totale de toi. Avez-vous été reconnu une fois dans votre vie ? Quelle merveille pour une femme qu’un homme la reconnaisse comme un être et non pas pour son physique, d’être à être. Quand il m’a reconnu ainsi pour moi c’était comme si mes 33 ans avaient valu la peine de vivre, qu’on me reconnaisse comme un être respectable, qui porte à l’intérieur de soi un bijou, un être essentiel. « Viens » et il m’a montré un dessin dans le mur, des lettres écrites en japonais et il m’a dit « felicitad », c’est à dire bonheur. Là j’ai compris que l’essence de l’enseignement spirituel c’est le bonheur et si on veut vous apprendre autre chose, ce sont des charlatans.
Et quel est ton but dans la vie : vivre dans le bonheur.
Si ce n’est pas ici, où ?
Si ce n’est pas maintenant, quand ? Si ce n’est pas toi, qui ?

Alors est-ce que je suis heureux dans mes pensées, est-ce que je sens que je comprends quelque chose, est-ce que j’ai la joie, comme l’arcane XIIII qui a une fleur de 5 pétales dans la tête, d’avoir des pensées parfumées. Les pensées ont une odeur et il y a des êtres qui pensent parfumer et d’autres qui ont des pensées puantes. Il y a des pensées terribles, négatives.
Est-ce qu’on est en colère, est-ce qu’on a de l’angoisse, est-ce que tu crois que l’agronomie va s’écrouler, que la planète Terre est en train de se venger, que les Chinois vont t’envahir, que les Américains vont faire exploser une bombe atomique à Chicago pour faire croire que ce sont les terroristes. Est-ce que tu as peur ?
Et dans ton cœur est-ce que quelqu’un t’aime en ce moment. Qui t’aime profondément en ce moment, qui est ravi que tu existes. Et est-ce que toi tu aimes. Cœur ouvert ou cœur comme un bunker. Comment va ta vie émotionnelle en ce moment ?
Et dans ton sexe, es-tu satisfait, comment va ta sexualité, comment tu la vis, comment sont tes expériences. Est-ce qu’il y a un désir non assouvi, des blessures que tu n’as pas soignées. Est-ce qu’il y a une urgence, ou est-ce qu’il y une apathie ?
Et économiquement, comment tu vas ? Quelle est ta relation avec l’argent. Est-ce que c’est pour toi quelque chose de dégoûtant, est-ce qu’un billet de banque c’est un papier limité ou comme dans les films américains le but de l’action. Même dans les films italiens, tout le monde se bagarre pour des dollars, comme si dans la vie il n’y avait pas un autre but que ramasser l’argent et c’est tout. Il y a l’argent sale, l’argent facile, l’argent des émigrants. Personne n’a dans la poche le même argent. Pour moi avoir un billet dans ma poche cela a été des années et des années. J’ai commencé à avoir de l’argent quand mes enfants sont nés. A partir de 33 ans.
Pensées, cœur, sexe, corps, cinquième essence. Il y a une conscience qui parle les quatre langages et elle doit être en relation avec le concept de divinité. Je ne dis pas qu’il faut être croyant, mais avoir une conscience de ce qu’est cette force qui me soutient vivant. Est-ce que tu as une relation avec la force qui te maintient vivant ? C’est cela ton bijou. J’ai là l’énergie cosmique qui est dans moi. Je fais partie du cosmos donc il y a ce que j’appellerai « un dieu intérieur », comme tu veux l’appeler. Est-ce que tu l’as senti ? Est-ce que tu es un homme ou une femme avec Dieu ou sans Dieu. Est-ce que tu as un principe cosmique, divin, à l’intérieur de toi. Est-ce que tu te respectes. Est-ce que tu aimes ton inconscient lumineux ou est-ce que tu crois que ton inconscient c’est un océan de ténèbres ?
Quand tu reconnais cette merveille intérieure, tu peux te demander « qu’est-ce que je fais avec ? » Ce que je fais, c’est que je demande de l’aide « oh ! Mon être essentiel, mon être intérieur, aide-moi » Alors ton être intérieur va te dire « tu es Moi, pourquoi tu te sépares de Moi. Tu crois que tu me poursuis mais c’est Moi qui suis en train de te poursuivre et toi tu t’échappes tout le temps, tu es sourd à Moi » Aide-moi pour que je trouve le bonheur. Il n’y a pas qu’un seul bonheur, il y a cinq bonheurs : un bonheur intellectuel, un bonheur émotionnel, un bonheur sexuel, un bonheur corporel et un bonheur essentiel qui est de trouver le bonheur central, le bijou central, parce que tu l’as. On ne peut pas dire que tu ne l’as pas. C’est le même principe qui est dans toi et dans moi.
Il ne faut se complexer, on va trouver un jour le bonheur mental, c’est le premier qu’il faut trouver en chassant les idées folles qu’on nous a mises dans la tête. Quand mon maître Zen avait un éventail et qu’il faisait chaud et qu’on venait lui faire des questions de Philosophie ou de n’importe quoi, il ouvrait son éventail et s’éventait. C’était son unique réponse. Et les grands maîtres Zen ont une baguette avec au bout une queue de cheval et le secret c’est qu’ainsi ils chassent les mouches, les pensées folles. Bouddha dit que les vérités sont ce qui est utile. Les vérités ne sont pas fixes et tu as le droit de changer d’idée. A un moment de ta vie cette idée était extrêmement utile et quand elle finit d’être utile, tu la lâches. Quand on a la honte de ne pas être une chose, on le devient en pire.
La Kabbale c’est un pur délire. 6 6 6 ce n’est pas un mystère, c’est un délire. 6 c’est le sephirot de la beauté. La Bête c’est beauté, beauté, beauté. Ce n’est pas le Diable. Mais beauté, beauté, beauté non vécue cela devient la Bête.
A un moment donné je dois arrêter de m’identifier à mes mots. Les mots ne sont pas moi. Je suis le récipient, le calice qui contient les mots. Il y a une énergie mentale qui n’a rien à voir avec les mots. Elle est transparente et c’est comme un immense éternel océan de silence incroyablement puissant. Donc dans ta tête il n’y a plus de limites. Le mental libre n’a pas de limites.

Les Arabes disent « si tu prends une poignée de sable dans la main, si tu la fermes tu n’as qu’une poignée de sable. Si tu ouvres la main tout le sable du désert peut passer par ta main. »

C’est cela le silence. Si tu as une poignée de mots, tu n’as que des mots, des idées, c’est terrible de s’identifier à ses paroles. Au fond la poésie ce n’est que l’expression du silence essentiel. Quand j’arrête les mots je peux m’endormir tranquille. Je vois ma souffrance d’un autre point de vue. Se sortir des points de vue, du langage pour se mettre dans le silence. C’est pour cela que le Bouddhisme te dit de trouver le vide essentiel.

C’est pour cela qu’un bouddhiste zen a dit quand on lui demandait ce que c’était l’illumination : « porte ouverte au nord, porte ouverte au sud, porte ouverte à l’est, porte ouverte à l’ouest. »

Quand tu vois le VIII d’Épée, tout est bleu, fermé, c’est vide mais quand tu vois le VIII de Coupe c’est rempli car le cœur arrive à la paix quand il est rempli d’amour. Le cœur doit être plein et non souffrant.