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84 Trouver sa finalité. 1

Pour tous ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’assister au Cabaret Mystique extrait de la conférence d’Alexandro JODOROWSKY du 26 février 2008

Si on est sûr que l’on va faire quelque chose plus tard, il faut le faire tout de suite pour ne pas perdre sa vie.

Si tu dois écrire quelque chose - mets-toi à écrire tout de suite.
Des personnes me disent « je veux être artiste peintre - Peins »
je veux être philosophe - mets-toi à penser
je veux être illuminé – mets-toi à méditer
je veux être saint – mets-toi à souffrir

Pour commencer je vais vous raconter trois histoires qui sont pour moi très profondes.

La première histoire ce sont deux ouvriers qui sont en train de travailler sur des blocs de pierre dans un chantier. Un visiteur demande à l’un d’eux « qu’est-ce que vous faites ? Il répond je travaille sur un maudit bloc de pierre ! » Et il demande à l’autre « et vous qu’est-ce que vous faites ? Et il répond moi je travaille pour créer un temple »

Quelle différence entre ces deux ouvriers ? C’est que l’un a une finalité très claire et que l’autre n’a aucune finalité, il travaille pour manger. Il ne sait pas vraiment ce qu’il est en train de faire. Alors est-ce que je suis un ouvrier qui travaille sur un maudit bloc de pierre ou bien est-ce que je suis un ouvrier qui travaille sur un bloc pour construire un temple ? Est-ce que j’ai une finalité ou est-ce que je n’ai pas de finalité.

En faisant mon film « la Montagne sacrée » je transpirais, je transpirais, chaque nuit je devais changer sept fois de tee-shirt. Je suis allé au quartier chinois voir un sage pour faire cesser cela. Il m’a dit « quelle est votre finalité dans votre vie ? » je lui ai dit « je ne viens pas parler Philosophie, je viens pour arrêter de transpirer. » Et il m’a dit « si vous ne savez pas quelle est la finalité de votre vie, je ne peux pas vous guérir ».

Je ne vous demande pas pour l’instant que vous cherchiez quelle est la finalité de votre vie. C’est complexe. Il y a des personnes qui ne le savent pas et d’autres qui le savent. Par exemple au café il y a des personnes qui me demandent « est-ce que je vais trouver un homme ? » et je réponds « madame je ne peux pas vous dire si vous allez trouver un homme, mais je peux vous dire pourquoi vous ne le trouvez pas. » Est-ce que je vais trouver un travail ? Je peux vous dire pourquoi vous ne le trouvez pas. Est-ce que je vais avoir du succès ? Je peux te dire pourquoi tu n’as pas de succès. Nous créons notre réalité. Je peux dire aussi « je ne sais pas qui tu es, je ne sais pas qui je suis, mais je connais parfaitement la nature de notre relation. On peut connaître la qualité de notre relation et l’améliorer. »

Pourquoi j’ai fait gratuitement depuis 30 ans une conférence ? C’est parce que je n’étais pas satisfait du monde. J’ai lu dans ARISTOTE cette phrase « quand tu veux devenir sage, tout ce que tu connais communique-le aux autres ». Enseigne, fais découvrir aux autres ce que tu connais. Il disait que l’on doit établir une communication positive avec le monde pour qu’il se réalise et se mette au service de Dieu. Je ne sais pas ce qu’est cet impensable Dieu, mais c’est. J’avais senti qu’il y avait un principe incommensurable qui me soutenait et soutenait le monde. Alors je voulais changer le monde, améliorer le monde. Mais il est trop fort. Il y a trop de commerçants, de politiciens, de banquiers, trop de personnes avec une conscience limitée. Mais on peut commencer à le changer. Alors je me suis dit que j’allais commencer mon travail de santé publique individuel. Je vais dire tout ce que je découvre dans la semaine de beau. Cela va peut-être améliorer ma vie, celle des mes amis, la descendance de mes amis et la mienne. Peut-être, peut-être. C’est cela ma finalité : développer le niveau de conscience. Parce qu’on souffre par manque de conscience et par manque de beauté. Nos problèmes ce sont des choses qu’on nous oblige à faire et les choses qu’on nous empêche de faire. Le problème commence quand on me fait vivre une expérience que je ne devrais pas vivre à mon âge ou au contraire une expérience que je devrai vivre en accord à mon âge. Abus. Je suis abusé. On m’oblige ou on m’interdit. Mais j’ai le droit de développer mon niveau de conscience. De même que dans le karaté il y a plusieurs niveaux : ceinture blanche, marron, noire etc..des « dans » différents et en espagnol cela fait « nada » c’est à dire : rien. Alors plus j’avance, plus j’ai des « dans » les uns après les autres mais plus tu es personnel, plus tu perds, et plus tu es impersonnel plus tu peux tuer vaincre main dans la ceinture.

Mon niveau de conscience se développe si je connais la finalité de mes actions. Je fais un couple, par exemple. Où va ce couple, quelle est sa finalité. Je fais une famille : quelle est la finalité de ma famille. J’ai un art : quelle est la finalité de mon art. J’ai une affaire : quelle est la finalité de mon affaire. Pourquoi j’agis, quel est mon moteur d’action. Chaque personne doit se poser cette question. Si tu ne te le dis pas tu es comme cet ouvrier qui travaille sur un « maudit bloc de pierre » et qui ne sait pas pourquoi. Quelle belle histoire ! Elle m’a fait comprendre tous les moments où je n’ai pas une finalité. Ce sont les pires moments de ma vie et tous les bons moments ce sont ceux où mon action a une finalité.

A la fin je me suis dit « quelle est la finalité de l’humanité ? » car on n’est pas que personnel, on est social et on est une humanité entière. Et quelle est la finalité de l’univers dans lequel nous vivons ? Quand des scientifiques nous parlent du Big Bang c’est un autre conte de fées. Qui a dit que l’univers doit avoir un commencement ? Ils nous disent, ces crétins, que l’univers à telle quantité d’années. Mais ce qu’ils appellent l’univers c’est un état de la création des multiples univers. Il y a un moment où il faut être assez humble et se dire qu’on n’a pas l’organe pour penser une chose pareille, je ne peux pas m’en occuper. Alors j’arrête de penser à cela. Le Talmud dit « occupe-toi des choses que tu peux connaître et ne t’occupe pas des choses mystérieuses sinon tu vas devenir fou ». C’est pour cela que les kabbalistes disent qu’il ne faut pas étudier la Kabbale avant 40 ans. Mais aussi l’unique finalité que nous avons c’est le désir sexuel et la reproduction et le plaisir. C’est lamentable une personne non satisfaite sexuellement. Comment est-ce possible que 70% des femmes soient névrotiques et frigides. Quelle catastrophe pour une femme de ne pas connaître l’immense, totale orgasme cosmique avec un homme ou avec une femme. Comment peut-on être mystique si on met l’activité sexuelle à la porte. Ah ! Ces ésotéristes qui parlent du corps, de l’âme et de l’esprit pendant des années. Les ésotéristes auraient dû dire : le corps, la libido, l’âme et l’esprit parce que de la ceinture vers le haut c’est pour le relationnel et le coeur et le mental doivent faire du relationnel. Le sexe et le mental doivent se relationner, aller loin. Mais le sexe se contraint et le corps est individuel. Pourtant ils sont le socle de l’âme. Alors si nous n’avons pas une base et que nous sommes insatisfaits l’âme et l’esprit sont insatisfaits. Ce n’est pas possible de penser que la masturbation est la base de la sexualité. Je dis ce que je pense. Je ne risque rien. Souvent la spiritualité a consisté à forniquer avec le gourou s’il est « gay » ou à mettre enceintes des disciples. Cela suffit. Il faut descendre dans l’inconscient et voir les noyaux incestueux, narcissiques que l’on porte pour arriver à donner une finalité à l’humanité.

Aristote a dit déjà que tout être humain veut avoir la connaissance et être immortel. Immortalité et connaissance : c’est ce que veut l’humanité. Connaître tout l’univers complet. C’est notre destin. On est comme des gorilles, en ce moment. On ne connaît que 1 % du monde dans lequel on vit. Bien sûr qu’on peut l’imaginer. Mais dès que l’on va à l’école on nous châtre l’imagination avec cette terrible éducation française. Rationalisme absolu. C’est terrible. Je veux connaître tout l’univers. Après je veux vivre autant que l’univers vit. Je commence à avoir l’âge d’un gourou, l’année prochaine j’aurais 80 ans et je serai « gourodowsky ». Tous les vieux commencent par parler de la fin du monde : on est les derniers ! Ils disent cela parce qu’eux vont mourir. Moi je suis optimiste, je pense que le monde ne va pas finir, au contraire. Le monde est comme une larve qui va créer un papillon. On vit dans une société en état critique absolu pour que cela éclate et après notre société sera une merveille. Alors pourquoi ne pas penser que nous sommes immortels et penser que nous pouvons nous créer une âme qui peut assister tranquillement à la fin de l’univers. Ce sera un matin cosmique incroyable, la danse des univers, et notre univers qui commence à décliner comme une fleur en toute beauté. Et toi tu vas dire que c’est fini cet univers, allons ensemble vers le néant. Quelle merveille ! Ce que veut l’humanité c’est être la conscience de l’univers. Nous sommes le calice qui porte la conscience. Notre mission est formidable. On est des créateurs de conscience. C’est pour cela que quand il n’y a pas de conscience le monde souffre, parce que la finalité du monde est ratée.

Deuxième histoire : C’est un lion puissant, maître de la forêt qui a soif. Il a peut-être mangé 14 lièvres. Il va à l’eau et un lion, du fond de l’eau, rugit. Il se dit que ce lion semble vraiment fort, terrible et que peut-être qu’il est plus fort que lui. Mais même il se dit que s’il a peur, il ne va pas être un lâche et il se lance pour attaquer l’autre lion. Il tombe dans l’eau et l’autre lion disparaît. Ce n’était que son reflet.

Quelle belle histoire ! J’ai compris que tous ces monstres qui m’attaquaient, c’était mon reflet. La plus grande partie de tes problèmes c’est un reflet de toi-même. Quand une personne vient me consulter avec son problème je lui dis « pense que c’est un rêve, vis la réalité comme un rêve et demande à la réalité pourquoi tu rêves cela. Qu’est-ce que cela signifie ce que tu es en train de vivre. Car ce que tu es en train de vivre c’est toi qui l’as produit. Ce que tu es en train de dire à un autre, c’est une projection de toi-même, c’est ton miroir.

On demande à Josho, un moine Zen « est-ce qu’un chien a la nature de Bouddha ? » il répond « ouah ! »

C’est génial, il aboie comme un chien. C’est un plus grand philosophe que bien des philosophes. Tout est dit. Il n’y a pas de nature de Bouddha, c’est une illusion. Il y a la vraie nature : le chien a la nature du chien et l’homme a la nature de l’homme. Et quand l’homme arrive à être exactement qu’il est, la conscience de ce qu’on appelle le divin arrive. Sinon ce sont des délires. Je ne sais pas ce que je suis, mais je suis ce que je suis. L’énergie intellectuelle ce n’est pas que des mots. Les énergies ce sont comme des calices. L’énergie intellectuelle contient les mots, les idées, les concepts. Le centre émotionnel contient les sentiments, mais ce ne sont pas les sentiments. Le centre libidinal contient les désirs, mais ce ne sont pas les désirs et moi je fais des actions mais je ne suis pas mes actions. Je ne suis pas des idées, je ne suis pas des sentiments, je ne suis pas des désirs, je ne suis pas mes actions. Je suis quelque chose qu’on ne peut pas définir. Méditer c’est s’asseoir et se voir et voir passer les pensées comme un troupeau de moutons. De même c’est voir passer les sentiments, les désirs, les actions.

Quand je vois Jean-Pierre Vignaud, un maître de karaté, je vois la perfection de son geste et il n’est pas un individu seul, il est un individu dans l’espace et dans le Temps dans une perfection absolue du geste. Ses mouvements ne sont pas esthétiques, ils sont pour une finalité. Un bouddha est en relation avec l’espace, avec son corps. On peut méditer dans toutes les positions car la chose n’est pas dans ta position, la chose est dans ton âme.
Il faut faire que le lion ne soit pas ton maître, mais ton serviteur. C’est comme dans la carte du MAT : si le chien te guide c’est catastrophique.

Troisième histoire. Ce conte que je vais vous raconter c’est mieux qu’un diamant. Cela vaut la peine d’être venu.
C’est un vieux sage qui est invité chez un très riche commerçant. Tout est propre dans la maison et le sage tout d’un coup a une envie de cracher. Et le commerçant lui dit « surtout ne crachez pas là, ni là, ni là. Tout est propre ici ». Alors le vieux sage lui crache dans le visage. « C’est l’unique endroit sale que j’ai trouvé ! »

C’est l’ego qui devrait être aussi propre que la personne, que la maison. Quand tout semble propre et que l’ego est sale, on lui crache au visage, la sagesse ne peut pas entrer, elle va t’agresser. C’est la même chose quand on me fait une critique. J’imite que je suis offensé, mais je la médite longuement et je remercie la critique qu’on m’a faite car comme cela je pourrais changer. Je suis capable de m’excuser, de changer. Dans le chemin spirituel il ne faut pas chercher à s’affirmer. Il faut guider la fausse énergie émotionnelle et laisser sortir la vraie énergie mentale qui t’amène à ce qu’on appelle l’illumination. L’illumination c’est un mental vide qui est lui-même avec toute sa force. Quand tu vide le coeur tu trouves la grâce. Là la critique finit, la médisance, la rancune, la colère finissent. Quand on vide l’énergie libidinale apparaît l’extase et chaque chose nous donne un goût incroyable. Les couleurs, par exemple. Le vert du Nil nous raconte l’histoire de toute l’Egypte et quand on rentre au rouge, on rentre à l’intérieur du corps et c’est le plus beau rouge qui existe, c’est le rouge de la vie. Chaque couleur a son message.

Le Christ a écrit sur le sable, sur la terre. Qu’est-ce qu’il a écrit ? Je ne sais pas, mais la terre s’en souvient, parce que la terre est un être conscient aussi. S’il a écrit dans la terre, la terre se souvient. C’est très beau.

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